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Économiquement vôtre !

Ce blog se veut un cadre de partage entre les économistes.

DÉBAT AUTOUR DE LA SUBVENTION AGRICOLE AU SÉNÉGAL

DÉBAT AUTOUR DE LA SUBVENTION AGRICOLE AU SÉNÉGAL

Le débat sur les programmes de subvention d’intrants agricoles a pris une grande ampleur au Sénégal durant ces derniers jours. Au travers de ce débat passionnant, populaire, et même tumultueux, des publications scientifiques sont réalisées dans ce domaine. Cette publication qui entre dans ce cadre ressort de mon mémoire de fin d'étude du master II au Programme de Troisième Cycle Inter universitaire.

Dans ses objectifs de réduction de l’insécurité alimentaire et de la pauvreté en milieu rural, l’Etat du Sénégal a adopté depuis le début des années 2000 une nouvelle politique agricole marquée par la mise en place des programmes de subvention agricole. La stratégie repose sur un mécanisme de réduction des prix des intrants agricoles afin d’accroître leur utilisation, d’augmenter le rendement agricole, les niveaux de production et par conséquent, les revenus des producteurs. Les intrants agricoles notamment les semences, les engrais sont souvent vendus aux ménages à un prix inférieur au prix du marché. Le montant des subventions d’intrants est passé de 4,7 milliards de francs CFA à 36,3 milliards de francs CFA entre les campagnes 2003/2004 et 2010/2011 (CRES, 2012).Les semences et les engrais sont les intrants cibles dans le cadre des programmes de subvention et ils en accumulent la plus grande partie. Un peu moins de la moitié de la subvention est affecté aux semences (29,1 % à l’arachide, 15,9 % aux céréales et 2,2 % aux tubercules de pomme de terre)(MAER, 2016).S’agissant de l’engrais, toutes les formules d’engrais sont subventionnées à hauteur 50% et 55 %, faisant aujourd’hui 42,6 % du total des dépenses de subvention agricole et 24,6 % du budget agricole du pays.

Ce soutien accru a-t-il permis de réaliser des performances dans l’agriculture ?

Malgré le soutien public accru consenti par le gouvernement du Sénégal au secteur agricole, le poids de l’agriculture dans l’économie sénégalaise reste encore faible. Bien que sa contribution dans le secteur primaire au cours des dix dernières années soit en moyenne de 51,4 %, la part de l’agriculture dans le PIB ne représente que 14,3 % du PIB entre 2000 et 2016 et 13,9 % au cours des cinq années précédentes (2012-2016).Cela semble être la conséquence d’une répartition inégale des richesses dans la mesure où 55,6 % de la population sénégalaise vit dans le milieu rural, alors que le poids de l’agriculture dans le PIB reste encore inférieur à 15 %.

A qui revient la subvention des intrants?

La subvention semble être profitable à tous les acteurs du système de distribution sauf aux ayants droit qui représentent les ménages agricoles les plus pauvres. En effet, les gros producteurs voire des non-producteurs s’accaparent de la plus grande part des intrants subventionnés. Comme le soulignent Jayne et al. (2015), la majorité des acteurs chargés de la mise en œuvre des programmes sont presque le plus souvent, les responsables des détournements parce qu’ils représentent les plus grands bénéficiaires. En effet, une quantité importante des engrais subventionnés est détournée et revendue à des prix commerciaux ou très proches, avant que le reste soit distribué aux producteurs. Cela a également été démontré dans d’autre pays d’Afrique comme Malawi et en Zambie où environ un tiers des engrais subventionnés est détourné. Au Sénégal par exemple, sur un échantillon de 631 riziculteurs, seulement 12 % ont eu accès à une quantité totale de 12,4 tonnes d’engrais DAP subventionnés. Parmi les bénéficiaires, les petits exploitants reçoivent quatre fois moins de kilogramme d’engrais (131 kg par ménage contre 447 kg par ménage) comparés  aux gros producteurs de grandes superficies, qui ne représentent que 25 % de l’échantillon (Tableau 1).

La subvention des intrants agricoles nécessite d’être remise en cause dans la mesure où elle sert à soutenir des personnes nanties au détriment des ménages les plus démunis, source d’élargissement de l’écart entre les riches et les pauvres. En réalité, il est important de noter que la disproportion au détriment des petits producteurs résulte de l’inexistence de critères de ciblage préétabli pour sélectionner les bénéficiaires. Par conséquent, si le gouvernement avait pour objectif final d’améliorer les revenus des ménages pauvres par le biais de la subvention, cela semble largement échoué. Par exemple, en considérant uniquement le DAP qui est de l’engrais destiné spécifiquement à la production de riz, les résultats de l’étude révèlent que le programme de subvention d’engrais n’a aucune influence significative sur la consommation d’engrais, ni sur le rendement agricole des ménages. Autrement dit, la subvention du DAP n’a pas permis d'accroître la consommation d’engrais et n’a aussi aucun effet sur le rendement rizicole des ménages. Cet effet inattendu du programme pourrait s’expliquer par l’insuffisance de la quantité de DAP mis à la disposition des ménages mais aussi par prix du DAP qui est relativement élevé (Graphique 2).

Dans un tel contexte, le programme de subvention des intrants agricoles ne peut répondre aux attentes des exploitants agricoles.

Qu’est qui peut être à l’origine des imperfections du marché des engrais au Sénégal?

En réalité, la fuite et le détournement des intrants subventionnés peuvent être liés à l’existence de nombreuses étapes dans le processus de distribution. Au Sénégal par exemple, plusieurs acteurs interviennent dans la répartition des quotas et la distribution des parts (Graphique 2). L’existence de plusieurs canaux dans le système d’affectation des intrants subventionnés reste alors l’un des éléments à corriger afin d’instaurer une gestion efficace des ressources allouées aux producteurs.

Quelles sont les pistes de solutions à entreprendre ?

Le programme de subvention des intrants devait plutôt être destiné aux ménages pauvres, caractérisés par une faible productivité agricole et assujettis à une contrainte financière leur empêchant d’acheter les intrants au prix du marché. Dans ce cas, la subvention pourrait bel et bien aider les ménages à accroître leur productivité agricole, leur niveau de revenus ainsi que leur bien-être.

Les résultats de cette recherche font apparaître les implications de politiques suivantes qui pourraient guider les autorités publiques dans la mise en place des programmes de subvention au Sénégal:

  • Restreindre le système de distribution pour une gestion transparente et efficace des subventions ;
  • Passer du système universel de subvention a un système de ciblage des bénéficiaires ;
  • Exclure tout aspect politique dans le cadre d’allocation des intrants subventionnés ;
  • Cibler les ménages agricoles les plus pauvres et non les riches ;
  • Suivre et évaluer le programme de manière à connaitre son impact sur les bénéficiaires.

 

Mouhamadou Lamine NDIMBLANE

Chercheur en économie des ressources naturelles et de l’environnement

Faculté des sciences économiques et de gestion

Université Cheikh Anta Diop de Dakar

Dakar, Sénégal

mouhamadoulamine1010@gmail.com

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N
Un article de haute facture, tous mes encouragements !!!
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N
Je salue avant tout l’initiative qui est purement celle d’un chercheur actif. J’encourage cette expression.<br /> Bon courage
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M
Salam ak Ziar Serigne Salioum, je vous remercie pour votre appreciation et surtout pour vos encouragements.